Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 26/01/2011, 311808, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire enregistrés les 24 décembre 2007 et 17 mars 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat présentée pour M. Jean-Jacques A, demeurant ... ; A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 05NC00953 du 25 octobre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0102347 du 24 mai 2005 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le surplus des conclusions de sa demande qui tendait à la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1994, 1995 et 1996 ainsi que des pénalités correspondantes ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention fiscale entre la France et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur les revenus, signée le 22 mai 1968 ;

Vu la convention fiscale entre la France et le Danemark tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur les revenus et la fortune, signée le 8 février 1957 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jérôme Michel, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. A,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. A ;




Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A détenait 99 % des parts de la société International Trade Service (ITS) qui exerçait, jusqu'à sa liquidation intervenue en 2000, une activité de négoce de pneumatiques pour véhicules et y était employé comme cadre administratif ; qu'il détenait également des parts de la SCI Montrêve ; qu'à l'issue des vérifications de comptabilité de ces deux sociétés, l'administration a estimé que M. A était le gérant de fait de la société ITS ; que, se fondant sur des renseignements qui avaient été communiqués par les services fiscaux de Grande-Bretagne et du Danemark, respectivement sur les sociétés Tyreco Trading Co Limited et Nordisk Daek Import Aps, lesquelles étaient en relation d'affaires avec la société ITS, l'administration a ensuite engagé un examen de la situation fiscale personnelle de M. A pour les années 1994 à 1996, dont il est résulté des redressements à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, au titre des revenus perçus de la société ITS ; que M. A se pourvoit en cassation contre l'arrêt en date du 25 octobre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 24 mai 2005 du tribunal administratif de Strasbourg qui avait rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1994, 1995 et 1996 ainsi que des pénalités correspondantes ;

Considérant qu'aux termes de l'article 27 de la convention fiscale franco-britannique du 22 mai 1968 : Les autorités compétentes des Etats contractants échangeront les renseignements nécessaires pour appliquer les dispositions de la présente convention ou pour prévenir la fraude ou pour appliquer les dispositions réglementaires tendant à combattre l'évasion légale, en ce qui concerne les impôts qui font l'objet de la convention. Tout renseignement ainsi échangé sera tenu secret et ne pourra être communiqué qu'aux personnes (tribunaux et organismes administratifs) chargées soit de l'établissement ou du recouvrement des impôts visés par la présente convention, soit des poursuites concernant ces impôts, soit des décisions sur les recours relatifs à ces impôts. ; que, selon les stipulations de l'article 23 de la convention franco-danoise du 8 février 1957, alors en vigueur : Les deux Etats contractants échangeront les renseignements d'ordre fiscal qu'ils ont à leur disposition et qui seraient utiles à l'autre Etat pour assurer l'établissement et le recouvrement réguliers des impôts visés par la présente convention ainsi que l'application, en ce qui concerne ces impôts, des dispositions légales relatives à la répression des fraudes fiscales. Les renseignements ainsi échangés conserveront un caractère secret et ne seront pas communiqués à des personnes autres que celles qui sont chargées de l'assiette et du recouvrement des impôts visés par la présente convention ;

Considérant que les stipulations précitées, qu'elles mentionnent expressément ou non les tribunaux, n'ont pas pour objet de faire obstacle à la communication par l'administration fiscale au juge compétent de renseignements recueillis dans le cadre de l'assistance administrative auprès d'administrations étrangères ; que, toutefois, le juge administratif est tenu de ne statuer, conformément aux principes généraux de la procédure, qu'au vu des seules pièces du dossier qui ont été communiquées aux parties ; qu'il lui appartient, lorsque l'administration a choisi de transmettre au juge de l'impôt les renseignements, y compris les documents, obtenus dans le cadre de la convention, de les communiquer à la partie adverse ; que, dans le cas inverse, il lui incombe, dans l'exercice de ses pouvoirs de direction de la procédure, de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur les points en débat, et d'en tirer les conséquences sur le litige au regard des suites données à ces mêmes mesures ;

Considérant, en premier lieu, qu'en jugeant, d'une part, que, dès lors que les informations obtenues des autorités fiscales britanniques et danoises ne pouvaient être communiquées à un tiers en vertu des stipulations des conventions précitées, l'administration avait pu légalement ne pas révéler ces informations à M. A avant l'envoi de la notification de redressement et, d'autre part, que la circonstance que le tribunal administratif de Strasbourg ne lui avait communiqué ces informations que sept ans après leur réception par l'administration ne constituait pas, par elle-même, une violation du caractère contradictoire de la procédure contentieuse, la cour administrative d'appel de Nancy n'a entaché son arrêt, qui est suffisamment motivé, ni d'erreur de droit ni de contradiction de motifs ;

Considérant, en deuxième lieu, que les moyens tirés, d'une part, de la méconnaissance du principe des droits de la défense et des stipulations de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part, de ce que le tribunal administratif de Strasbourg ne pouvait fonder son jugement sur des documents dont la convention franco-danoise ne prévoyait pas expressément la transmission aux tribunaux, enfin, de la durée estimée excessive de l'instance devant le tribunal administratif, qui n'ont pas été invoqués devant la cour administrative d'appel, sont sans incidence sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué ; que les dispositions de l'article L.199 C du livre des procédures fiscales ne peuvent être utilement invoquées pour s'opposer à l'irrecevabilité des moyens qui ne sont pas d'ordre public et qui ont été présentés pour la première fois en cassation ;

Considérant, en troisième lieu, qu'en jugeant que les documents litigieux communiqués par les autorités danoises et britanniques ne constituaient pas des pièces comptables, dès lors qu'ils se bornaient à faire référence à des pièces comptables des sociétés clientes de la société ITS, la cour n'a commis ni insuffisance de motivation, ni dénaturation des faits, ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'en jugeant que la demande formulée par l'administration française aux autorités britanniques et danoises était un document préparatoire qui, en tout état de cause, n'avait pas à être communiqué au contribuable, la cour a suffisamment motivé son arrêt ;

Considérant, en cinquième lieu, qu'en jugeant que les documents produits par M. A ne permettaient pas d'établir que, comme il le soutenait, des employés de sociétés étrangères auraient perçu les commissions litigieuses en usurpant son identité, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier ; qu'elle a pu régulièrement, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, en déduire que l'administration établissait la perception de ses sommes par le contribuable ;

Considérant, en sixième lieu, que la cour a suffisamment motivé son arrêt en jugeant que M. A, qui se bornait à soutenir que l'administration avait adopté une position particulièrement rigoriste en imposant, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, une somme de 11 500 F, n'établissait pas que ces revenus, pour lesquels il n'avait apporté aucun justificatif, constituaient un complément de salaire et non des revenus distribués ;

Considérant, enfin, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société ITS a procédé à la réalisation de travaux dans les locaux professionnels qu'elle prenait à bail de la SCI Mon Rêve ; qu'à hauteur du montant de 180 020 F, ces travaux, pris en charge par le locataire alors qu'ils incombaient au propriétaire, ont été regardés par l'administration comme un supplément de loyers au profit de la SCI, imposable dans la catégorie des revenus fonciers ; qu'en jugeant que M. A n'établissait pas que, comme il le soutenait, les travaux effectués par la société ITS pour l'aménagement de son siège social dépassaient par leur importance ceux qui sont normalement réalisés par le propriétaire, la cour n'a ni entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation ni dénaturé les faits ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente espèce la partie perdante, la somme que M. A demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.

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