Conseil d'État, Juge des référés, 07/05/2007, 304554, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu 1°) sous le n° 304554, la requête, enregistrée le 6 avril 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'ASSOCIATION FRANCAISE EN OSTEOPATHIE (AFO) dont le siège social est 10 Parc Club du Millénaire 1025, rue Henri Becquerel à Montpellier (34000) ; l'ASSOCIATION FRANCAISE EN OSTEOPATHIE demande au Conseil d'Etat :

- de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'application du décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 relatif aux actes et conditions d'exercice de l'ostéopathie, notamment de ses articles 3 et 4 ;

- de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



elle fait valoir, en premier lieu, que plusieurs moyens sont propres à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret 2007-435 du 25 mars 2007; que, dès lors qu'il prévoit un partage du titre d'ostéopathe qui pourrait être utilisé notamment par des médecins, masseurs kinésithérapeutes, infirmiers et sages-femmes, le décret attaqué méconnaît la volonté du législateur d'instaurer une profession indépendante d'ostéopathe ou de chiropracteur et d'en réserver l'usage du titre uniquement aux praticiens inscrits sur une liste départementale dressée par le représentant de l'Etat ; que dans la mesure où, pour pratiquer des actes de manipulation du crâne, de la face et du rachis chez le nourrisson de moins de six mois et des manipulations du rachis cervical, le II de l'article 3 du décret attaqué exige de l'ostéopathe un certificat médical préalable d'absence de contre indications médicales à l'ostéopathie, il excède les prévisions de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ; qu'au surplus, en l'absence de littérature scientifique permettant de justifier les restrictions d'exercice posées à l'article 3 du décret attaqué, celui-ci doit être regardé comme dépourvu de base légale ; qu'il est satisfait, en second lieu, à la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative dès lors qu'en prévoyant un partage du titre d'ostéopathe entre membres de profession de santé, le décret attaqué crée un risque de confusion dans l'esprit des patients ; qu'en outre, le III de l'article 3 dudit décret ne prévoyant pas de restriction d'actes pour les professionnels de santé ostéopathes autres que celles résultant de l'exercice de leur profession médicale ou paramédicale, il encourage une pratique intermittente de l'ostéopathie ce qui présente un danger pour la sécurité des patients ; qu'au surplus, en omettant de mentionner le titre de chiropracteur dans le décret attaqué, celui-ci ne permet pas de réglementer l'exercice des activités de chiropraticien et d'ostéopathe de manière cohérente alors même que la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 en prévoit l'encadrement, ce qui expose les praticiens qui se revendiquent de la chiropraxie à des risques de poursuites pénales pour exercice illégal de cette activité ;


Vu 2°), sous le n° 304555, la requête, enregistrée le 06 avril 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par PROFESSION OSTEOPATHE - SYNDICAT NATIONAL DES OSTEOPATHES DE FRANCE (SNOF), dont le siège est Les Floralies, 14, avenue Alfred de Vigny à Nice (06100) ; le SYNDICAT NATIONAL DES OSTEOPATHES DE FRANCE demande au Conseil d'Etat :

- de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'application du décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 relatif aux actes et conditions d'exercice de l'ostéopathie, notamment de ses articles 3 et 4 ;

- de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


il soutient, en premier lieu, que plusieurs moyens sont propres à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret 2007-435 du 25 mars 2007; que, dès lors qu'il prévoit un partage du titre d'ostéopathe qui pourrait être utilisé notamment par des médecins, masseurs kinésithérapeutes, infirmiers et sages-femmes, le décret attaqué méconnaît la volonté du législateur d'instaurer une profession indépendante d'ostéopathe ou de chiropracteur et d'en réserver l'usage du titre uniquement aux praticiens inscrits sur une liste départementale dressée par le représentant de l'Etat ; que dans la mesure où, pour pratiquer des actes de manipulation du crâne, de la face et du rachis chez le nourrisson de moins de six mois et des manipulations du rachis cervical, le II de l'article 3 du décret attaqué exige de l'ostéopathe un certificat médical préalable d'absence de contre indications médicales à l'ostéopathie, il excède les prévisions de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ; qu'au surplus, en l'absence de littérature scientifique permettant de justifier les restrictions d'exercice posées à l'article 3 du décret attaqué, celui-ci doit être regardé comme dépourvu de base légale ; qu'il est satisfait, en second lieu, à la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative dès lors qu'en prévoyant un partage du titre d'ostéopathe entre membres de profession de santé, le décret attaqué crée un risque de confusion dans l'esprit des patients ; qu'en outre, le III de l'article 3 dudit décret ne prévoyant pas de restriction d'actes pour les professionnels de santé ostéopathes autres que celles résultant de l'exercice de leur profession médicale ou paramédicale, il encourage une pratique intermittente de l'ostéopathie ce qui présente un danger pour la sécurité des patients ; qu'au surplus, en omettant de mentionner le titre de chiropracteur dans le décret attaqué, celui-ci ne permet pas de réglementer l'exercice des activités de chiropraticien et d'ostéopathe de manière cohérente alors même que la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 en prévoit l'encadrement, ce qui expose les praticiens qui se revendiquent de la chiropraxie à des risques de poursuites pénales pour exercice illégal de cette activité ;


Vu le décret dont la suspension est demandée ;

Vu, enregistrées le 25 avril 2007, les observations par lesquelles le ministre de la santé et des solidarités conclut au rejet des deux requêtes ; il soutient que la condition d'urgence invoquée par les requérants n'est pas démontrée ; que le SYNDICAT NATIONAL DES OSTEOPATHES DE FRANCE adopte une position contradictoire dès lors, qu'après avoir obtenu du Conseil d'Etat que celui-ci enjoigne au Premier ministre de publier dans un délai de six mois les décrets d'application de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, il le saisit de conclusions aux fins de suspension desdits textes ; que ce n'est pas l'édiction des décrets relatifs à l'ostéopathie qui est susceptible de porter atteinte de façon grave et immédiate à l'intérêt des professionnels eux-mêmes, mais leur non-application ; que le législateur n'a pas souhaité réserver la pratique de l'ostéopathie à une seule catégorie de professionnels, qu'au contraire il a entendu prendre en compte la variété des professionnels ostéopathes ; qu'en conséquence, le décret attaqué n'a pas méconnu la volonté du législateur en instaurant un partage du titre entre les professionnels de santé ostéopathes et les professionnels exerçant l'ostéopathie de façon exclusive ; qu'en outre, l'obligation d'inscription sur une liste départementale prévue à l'article 75 de la loi 2002-303 du 4 mars 2002 constitue une formalité préalable à l'exercice de l'ostéopathie ; que cette formalité ne signifie pas que l'usage du titre d'ostéopathe soit exclusif de tout autre, ni que le professionnel doive exercer cette activité de façon continue et permanente ; que, dans la mesure où ils ont reçu, dans le cadre de leur profession de santé, une formation adaptée et qu'ils ont ainsi acquis les connaissances et les compétences nécessaires pour accomplir les manipulations mentionnées aux points I et II de l'article 3 du décret 2007-435, l'exercice de ces actes ne présente pas un caractère de danger pour la sécurité des patients ; qu'au surplus, le décret attaqué, en énumérant certains actes et en précisant les conditions dans lesquelles ils peuvent être effectués, ne contrevient pas, contrairement à ce que soutiennent les requérants, à la volonté du législateur, dès lors que ce dernier a souhaité un encadrement strict de l'exercice de l'ostéopathie ; que par ailleurs et dans la mesure où aucun principe d'ordre législatif n'impose au ministre de se fonder sur une littérature scientifique pour déterminer les actes d'une profession, le moyen tiré de l'absence de base légale de certaines dispositions du décret attaqué doit être écarté en ce qu'il pose une question d'opportunité qui n'est pas de nature à être discutée par la voie contentieuse ; qu'enfin, dès lors que les requérants n'ont pas un intérêt personnel, direct et certain à agir au nom des praticiens faisant usage du titre de chiropracteur, ils ne sont pas fondés à invoquer l'illégalité du décret 2007-435 au motif que ce dernier ne réglementerait pas l'activité de chiropraxie ;

Vu enregistré le 30 avril 2007, le mémoire en réplique présenté par l'ASSOCIATION FRANCAISE EN OSTEOPATHIE et PROFESSION OSTEOPATHES - SYNDICAT NATIONAL DES OSTEOPATHES DE FRANCE (SNOF), qui tend aux mêmes fins que leur requêtes par les mêmes moyens et en outre par le fait que l'urgence à suspendre le décret attaqué résulte notamment de ce que son application permettrait à des membres de professions de santé n'ayant pas suivi un enseignement spécifique à l'ostéopathie d'une durée et d'un contenu suffisants d'utiliser le titre d'ostéopathe ; qu'en conséquence et dans la mesure où leurs pratiques seront radicalement différentes et ne pourront être qualitativement comparables, elles engendreront des risques considérables pour la santé des patients ; qu'en outre et dans la mesure où la mise en oeuvre du décret contesté permettrait l'inscription sur les listes départementales de personnes n'ayant pas la formation requise pour être ostéopathe, l'application dudit décret viderait de son sens le décret n° 2007-437 du 25 mars 2007 relatif à la formation des ostéopathes et à l'agrément des établissements de formation et ne permettrait pas l'application des dispenses de formation introduites par l'article 5 de l'arrêté du 25 mars 2007 relatif à la formation en ostéopathie, à la commission d'agrément des établissements de formation et aux mesures dérogatoires ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

Vu le décret n° 2007-437 du 25 mars 2007 relatif à la formation des ostéopathes et à l'agrément des établissements de formation ;

Vu l'arrêté du 25 mars 2007 relatif à la formation en ostéopathie, à la commission d'agrément des établissements de formation et aux mesures dérogatoires ;

Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2, L. 521-1 et L. 761-1 ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'ASSOCIATION FRANCAISE EN OSTEOPATHIE et le SYNDICAT NATIONAL DES OSTEOPATHES DE FRANCE, d'autre part, le ministre de la santé et des solidarités ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du vendredi 4 mai 2006 à 14 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Monsieur SALA, Président de l'ASSOCIATION FRANCAISE EN OSTEOPATHIE ;

- Monsieur FANCELLO, Président du SYNDICAT NATIONAL DES OSTEOPATHES DE FRANCE ;

- les représentants du ministre de la santé et des solidarités ;




Considérant que les requêtes susvisées de l'ASSOCIATION FRANCAISE EN OSTEOPATHIE et du SYNDICAT NATIONAL DES OSTEOPATHES DE FRANCE tendent à la suspension du même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par une même ordonnance ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) » ;

Considérant que c'est en se prévalant de ces dispositions que l'ASSOCIATION FRANCAISE EN OSTEOPATHIE et le SYNDICAT NATIONAL DES OSTEOPATHES DE FRANCE demandent au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner la suspension du décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 relatif aux actes et conditions d'exercice de l'ostéopathie et plus particulièrement de ses articles 3 et 4 ;

Sur les conclusions aux fins de suspension du décret 2007-435 du 25 mars 2007

Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés peut prononcer la suspension d'une décision administrative à la condition notamment que l'urgence le justifie ; que cette condition doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du ou des requérants ou aux intérêts qu'ils entendent défendre ; qu'il incombe au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le ou les requérants, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

Considérant d'une part, que pour justifier l'urgence, les requérants se bornent à invoquer les risques de confusion que l'utilisation du titre d'ostéopathe par des membres de professions de santé et notamment des médecins, masseurs kinésithérapeutes, infirmiers et sages-femmes risquent de créer dans l'esprit des patients ; qu'ils invoquent également le risque que créerait, pour ces derniers, l'exercice intermittent de l'activité d'ostéopathe par des professionnels de santé qui ne s'adonneraient pas exclusivement à l'exercice de l'ostéopathie ; que le ministre de la santé et des solidarités fait pertinemment valoir en réponse que le législateur n'a pas souhaité réserver la pratique de l'ostéopathie à une seule catégorie de professionnels ; qu'au contraire, il a souhaité préciser le cadre d'intervention des professionnels exerçant l'ostéopathie ; que dès lors que les praticiens qui se seront vus délivrer le titre d'ostéopathe seront titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation spécifique d'ostéopathe adaptée au niveau de formation initiale qui est le leur, aux professions de santé qu'ils sont ou seront autorisés à exercer ou enfin à l'expérience professionnelle acquise dans la pratique de l'ostéopathie, les divers risques invoqués par les requérants ne sont pas susceptibles de se concrétiser ;

Considérant qu'il résulte de la discussion qui précède, ainsi que des échanges entre les parties devant le juge des référés, que les motifs par lesquels les requérants soutiennent que le décret attaqué créerait pour les ostéopathes et leurs patients une situation d'urgence qu'il serait nécessaire de faire cesser ne peuvent être accueillis ;

Considérant, qu'en ce qui concerne le risque d'éventuelles poursuites sur le chef d'exercice illégal de la profession de chiropracteur, l'urgence exigée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'est pas non plus constituée, dès lors que les moyens d'illégalité du décret contesté, articulés par les requérants, pourront, en tout état de cause, si l'hypothèse de telles poursuites devait se vérifier, être invoqués par voie d'exception devant le juge pénal.

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requêtes susvisées ne satisfont pas à la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ; qu'en outre, les requêtes en annulation présentées par l'association et le syndicat requérants pourront être jugées à bref délai par le Conseil d'Etat ; qu'ainsi et sans qu'il y ait lieu pour le juge des référés de prendre position sur le sérieux des moyens invoqués, les conclusions aux fins de suspension ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que l'ASSOCIATION FRANCAISE EN OSTEOPATHIE et le SYNDICAT NATIONAL DES OSTEOPATHES DE FRANCE demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;




O R D O N N E :
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Article 1er : les requêtes présentées par l'ASSOCIATION FRANCAISE EN OSTEOPATHIE et le SYNDICAT NATIONAL DES OSTEOPATHES DE FRANCE sont rejetées.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'ASSOCIATION FRANCAISE EN OSTEOPATHIE et au SYNDICAT NATIONAL DES OSTEOPATHES DE FRANCE ainsi qu'au ministre de la santé et des solidarités.


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