Conseil d'Etat, 8 / 3 SSR, du 22 mai 2002, 221541, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 mai et 22 septembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS, dont le siège est ..., représentée par son président-directeur général en exercice ; la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 23 mars 2000 de la cour administrative d'appel de Douai en tant qu'il a, sur recours du ministre de l'économie et des finances, réformé le jugement n° 92-1807 du 22 octobre 1996 du tribunal administratif d'Amiens et remis à sa charge les suppléments d'impôt sur les sociétés et pénalités y afférentes auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1985, 1986 et 1987 à concurrence des montants correspondants à la réintégration dans ses résultats des sommes respectives de 920 391 F, 576 157 F et 730 585 F ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vallée, Maître des Requêtes-;

- les observations de la SCP Boullez, Boullez, avocat de la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS,

- les conclusions de Mme Mignon, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 1985, 1986 et 1987, divers redressements ont été notifiés à la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS au titre de l'impôt sur les sociétés, correspondant à la réintégration dans ses bases imposables, d'une part, de dépenses afférentes à l'accroissement d'actif représenté par la construction de deux bâtiments, que la société avait comptabilisées en frais généraux, et, d'autre part, de la fraction jugée excessive des rémunérations perçues par M. X..., président-directeur général, et par son épouse, directeur général ; que, par un jugement du 22 octobre 1996, le tribunal administratif d'Amiens a déchargé la société de l'intégralité des impositions et pénalités y afférentes mises à sa charge à raison de cette réintégration ; que la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 23 mars 2000 de la cour administrative d'appel de Douai, en tant qu'il a, à la demande du ministre de l'économie et des finances, remis à la charge de la société la totalité des impositions et pénalités litigieuses, à l'exception de celles qui résultaient de la réintégration dans les bases imposables de la fraction jugée excessive des rémunérations perçues par Mme X... ;

Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en vertu de l'article 209 du même code à la détermination de l'assiette de l'impôt sur les sociétés : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant ... notamment : 1°) Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main d'oeuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire. Toutefois les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu ..." ;

Considérant qu'en relevant, d'une part, que la rémunération annuelle de M. X... avait connu une forte et soudaine croissance au titre d'exercices au cours desquels la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS enregistrait une augmentation de son chiffre d'affaires très inférieure à celle constatée lors des exercices précédents et un résultat faible, d'autre part, que ses activités de recherche et de relations internationales dont il était chargé était limitées, la cour a porté une appréciation souveraine, exempte de dénaturation, qui n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ; qu'en se fondant sur ces éléments, la cour a pu, sans méconnaître la portée des dispositions précitées de l'article 39 du code général des impôts, juger qu'une partie des rémunérations de M. X... était excessive au regard du service rendu et ne pouvait, par suite, être déduite du bénéfice imposable ; que, par suite, la société n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il remet à sa charge les suppléments d'impôt sur les sociétés résultant de la réintégration dans ses bases imposables la partie jugée excessive de la rémunération de M. X... ;

Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que dans son mémoire introductif d'instance devant le tribunal administratif d'Amiens, la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS sollicitait la décharge de l'intégralité des impositions supplémentaires mises à sa charge au titre des années 1985, 1986 et 1987 ; que, par suite, la cour a dénaturé les écritures de première instance qui lui étaient soumises en jugeant qu'elles ne contenaient aucune conclusion relative aux suppléments d'impôt sur les sociétés et majorations y afférentes mis à la charge de la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS au titre des exercices clos en 1985, 1986 et 1987, à raison de la réintégration dans ses bases imposables des dépenses afférentes à l'accroissement d'actif représenté par la construction de deux bâtiments, que la société avait comptabilisées en frais généraux et en en déduisant qu'en accordant la décharge des droits et majorations correspondants, le tribunal administratif avait statué au-delà des conclusions dont il était saisi ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler les articles 1 et 2 de l'arrêt attaqué en tant qu'ils remettent ces droits et majorations à la charge de la société ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Considérant que le motif tiré par le tribunal administratif d'Amiens de ce que l'administration ne démontrait pas le caractère excessif des rémunérations versées à M. et Mme X..., s'il était de nature à justifier la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et des majorations y afférentes auxquels la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS a été assujettie à raison de la réintégration dans ses bases imposables, en application de l'article 39 du code général des impôts, de la fraction desdites rémunérations que l'administration estimait excessives, ne pouvait légalement justifier la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et des majorations auxquels la société a été assujettie à raison de la réintégration dans ses bases imposables de dépenses se traduisant par un accroissement de la valeur de son actif, qu'elle avait comptabilisées en frais généraux ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce motif pour prononcer la décharge de ces dernières impositions ;

Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS au soutien des conclusions tendant à la décharge desdites impositions ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 189 C du livre des procédures fiscales : "( ...) La prescription des sanctions fiscales autres que celles visées au troisième alinéa de l'article L. 188 est interrompue par la mention portée sur la notification de redressements qu'elles pourront être éventuellement appliquées" ;

Considérant que la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS soutient que les majorations mises à sa charge au titre de l'exercice clos en 1985 sont prescrites, faute pour la notification de redressements du 16 décembre 1988 de comporter la mention prévue par les dispositions précitées de l'article L. 189 C du livre des procédures fiscales ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que les suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels la société a été assujettie au titre de l'exercice clos en 1985 ont été uniquement assortis d'intérêts de retard , lesquels ne revêtent pas le caractère de sanctions fiscales ; qu'ainsi, le moyen ne peut qu'être écarté comme inopérant ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a déchargé la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS des suppléments d'impôt sur les sociétés et majorations y afférentes mis à sa charge au titre des exercices clos en 1985, 1986 et 1987, à raison de la réintégration dans ses bases imposables des dépenses de construction qu'elle avait comptabilisées en frais généraux ;
Article 1er : Les articles 1 et 2 de l'arrêt du 23 mars 2000 de la cour administrative d'appel de Douai sont annulés en tant qu'ils portent sur les suppléments d'impôt sur les sociétés et majorations y afférentes auxquels la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS a été assujettie au titre des exercices clos en 1985, 1986 et 1987 à raison de la réintégration dans ses bases imposables des dépenses afférentes à l'accroissement de la valeur de son actif représenté par la construction de deux bâtiments, que la société avait comptabilisées en frais généraux.
Article 2 : Les suppléments d'impôt sur les sociétés et majorations y afférentes auxquels la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS a été assujettie au titre des exercices clos en 1985, 1986 et 1987 à raison de la réintégration dans ses bases imposables des dépenses afférentes à l'accroissement de valeur de son actif représenté par la construction de deux bâtiments, que la société avait comptabilisées en frais généraux, sont remis à sa charge.
Article 3 : Le jugement du 22 octobre 1996 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE BLANCHISSERIE INDUSTRIELLE DU MARAIS et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
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