Conseil d'Etat, 2 / 1 SSR, du 6 novembre 2000, 204784, mentionné aux tables du recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 17 février et 17 mai 1999, la requête sommaire et le mémoire complémentaire présentés pour le GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES TRAVAILLEURS IMMIGRES (G.I.S.T.I.), dont le siège est ..., représenté par sa présidente en exercice ; le G.I.S.T.I. demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 22 décembre 1998 relatif aux titres ou documents attestant de la régularité du séjour des étrangers en France pour être affiliés à un régime de sécurité sociale et modifiant le code de la sécurité sociale (troisième partie : décrets) ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés ;

Vu la Charte sociale européenne ;

Vu le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels publié par le décret du 29 janvier 1981 ;

Vu le règlement CEE n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ;

Vu la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Errera, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES TRAVAILLEURS IMMIGRES,

- les conclusions de Mme de Silva, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que le décret attaqué fixe la liste des titres ou documents attestant de la régularité du séjour et du travail des étrangers en France pour l'application des dispositions des articles L. 115-6, L. 161-16-1, L. 161-18-1, L. 161-25-2, L. 816-1 et L. 821-9 du code de la sécurité sociale qui subordonnent à la régularité du séjour en France l'affiliation à un régime obligatoire de sécurité sociale et le bénéfice des prestations sociales qu'elles régissent ;

En ce qui concerne la légalité externe du décret attaqué :

Considérant que le décret attaqué a été contresigné par le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim en vertu du décret du 3 septembre 1998 publié au Journal officiel de la République française le 4 septembre 1998 ; qu'ainsi le moyen tiré du défaut de contreseing du ministre de l'intérieur doit être écarté ;

En ce qui concerne la légalité interne du décret attaqué :

Sur le moyen tiré de la violation de la Constitution :

Considérant que la subordination, critiquée par la requête, de l'affiliation à un régime obligatoire de sécurité sociale et du bénéfice des prestations sociales correspondantes à la condition de régularité du séjour en France, résulte des termes mêmes des dispositions précitées du code de la sécurité sociale, issues respectivement de l'article 36 de la loi du 24 août 1993 et de l'article 42 de la loi du 11 mai 1998 ; qu'il n'appartient pas au Conseil d'Etat statuant au contentieux d'apprécier la conformité à la Constitution de ces dispositions législatives ;

Sur le moyen tiré de l'article 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels :

Considérant qu'aux termes de cet article : "Les Etats-parties au présent pacte reconnaissent le droit de toute personne à la sécurité sociale, y compris les assurances sociales" ; que ces stipulations, qui ne produisent pas d'effets directs à l'égard des particuliers, ne peuvent être utilement invoquées à l'appui de conclusions tendant à l'annulation du décret attaqué ;

Sur le moyen tiré de la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 :

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 2-1 de ladite convention : "1° Les Etats-parties s'engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou autre de l'enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation" ; qu'aux termes de l'article 26 de la même convention : "1 Les Etats-parties reconnaissent à tout enfant le droit de bénéficier de la sécurité sociale, y compris les assurances sociales, et prennent les mesures nécessaires pour assurer la pleine réalisation de ce droit en conformité avec leur législation nationale" ; qu'aux termes de l'article 27 de la même convention : "1 Les Etats-parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social" ; que les stipulations précitées des articles 26 et 27 ne produisent pas d'effet direct à l'égard des particuliers et ne peuvent être utilement invoquées à l'appui des conclusions dirigées contre le décret attaqué ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que les droits énoncés par ces articles ne seraient pas garantis dans le respect du principe de non-discrimination énoncé par l'article 2 précité de la convention est, en tout état de cause, inopérant ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 3 de la même convention : "1°- Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées, de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale" ; qu'eu égard à l'ensemble du régime de protection des mineurs applicable en France, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les stipulations précitées ;

Sur le moyen tiré de la convention n° 118 de l'Organisation internationale du travail du 28 juin 1962 :

Considérant qu'aux termes de l'article 4-1 de cette convention "en ce qui concerne le bénéfice des prestations, l'égalité de traitement doit être assurée sans condition de résidence. Toutefois, elle peut être subordonnée à une condition de résidence, en ce qui concerne les prestations d'une branche de sécurité sociale déterminée, à l'égard des ressortissants de tout Membre dont la législation subordonne l'octroi des prestations de la même branche à une condition de résidence sur son territoire" ; que la définition des titres et documents susmentionnés n'est pas contraire à ces stipulations qui produisent des effets directs à l'égard des particuliers ;

Sur le moyen tiré de l'article 24 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés :

Considérant qu'aux termes de l'article 24 de cette convention : "1°- Les Etats contractants accorderont aux réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire le même traitement qu'aux nationaux en ce qui concerne les matières suivantes : ( ...) b) la sécurité sociale (les dispositions légales relatives aux accidents du travail, aux maladies professionnelles, à la maternité, à la maladie, à l'invalidité, à la vieillesse et au décès, au chômage, aux charges de famille, ainsi qu'à tout autre risque qui, conformément à la législation nationale est couvert par un système de sécurité sociale) ..." ; que les articles 5 et 6 du décret attaqué, qui insèrent dans le code de la sécurité sociale les articles D. 816-3 et D. 821-8, lesquels renvoient aux titres ou documents mentionnés aux 1, 2, 3, 4, 5, 6, 10 et 11 de l'article D. 115-1, incluent dans la liste desdits titres, la carte de résident qui, en vertu de l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, est délivrée de plein droit aux personnes auxquelles la qualité de réfugié a été reconnue, ainsi que le récépissé de demande de titre de séjour valant autorisation de séjour d'une durée de six mois renouvelable portant la mention "reconnu réfugié" ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du b) du 1° de l'article 24 de la convention précitée doit être écarté ;

Sur le moyen tiré de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

Considérant qu'aux termes de cet article "la jouissance des droits et libertés reconnues dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation" ; qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens" ; que le législateur, en subordonnant à une condition de résidence régulière le bénéfice, pour les étrangers, de l'affiliation à un régime obligatoire de sécurité sociale et des prestations en cause, a entendu tenir compte de la différence de situation entre les étrangers selon qu'ils satisfont ou non aux conditions de régularité de la résidence posées par la loi et les engagements internationaux souscrits par la France ; qu'il s'est ainsi fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts de la loi ; que, dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les dispositions législatives énonçant cette condition méconnaîtraient le principe de non-discrimination dans le droit au respect des biens qui résulte des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention ;

Sur le moyen tiré de la violation du règlement CEE n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 :

Considérant qu'aux termes de l'article 3-1 de ce règlement : "Les personnes qui résident sur le territoire de l'un des Etats membres et auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout Etat membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement" ; que le décret attaqué ne s'appliquant pas aux ressortissants des autres Etats membres de la Communauté européenne, qui bénéficient des dispositions précitées, le moyen tiré de leur méconnaissance doit être rejeté comme inopérant ;

Sur le moyen tiré des accords de coopération et d'association conclus entre la Communauté européenne et divers Etats tiers :

Considérant que le décret attaqué doit être regardé comme réservant les droits des ressortissants des Etats ayant conclu des accords d'association ou de coopération avec la Communauté européenne ; que le moyen doit, dès lors, être, en tout état de cause, écarté ;

Sur les moyens tirés de la violation de la charte sociale européenne, de la convention européenne d'assistance médicale et sociale et de conventions bilatérales de sécurité sociale conclues par la France avant la promulgation de la loi du 24 août 1993 :

Considérant que l'allégation selon laquelle le décret attaqué méconnaîtrait lesdites conventions n'est accompagnée d'aucune précision de nature à permettre d'en apprécier le bien-fondé ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES TRAVAILLEURS IMMIGRES n'est pas fondé à demander l'annulation du décret attaqué ;
Article 1er : La requête du GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES TRAVAILLEURS IMMIGRES est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES TRAVAILLEURS IMMIGRES, au Premier ministre, au ministre de l'emploi et de la solidarité, au ministre de l'intérieur, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre de l'agriculture et de la pêche.
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