Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 04/05/2011, 330551

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu, 1°), sous le n° 330551, le pourvoi, enregistré le 6 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 07LY01244, 07LY01717 de la cour administrative d'appel de Lyon du 28 mai 2009 en tant qu'il rejette l'appel qu'il a interjeté du jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 27 mars 2007 en tant qu'il a déchargé M. A...des cotisations de contribution pour le remboursement de la dette sociale auxquelles il a été assujetti à raison des dividendes versés par la société Bellerivedis au cours des années 2002 à 2004 ;



Vu, 2°), sous le n° 330654, le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 10 août 2009, 10 novembre 2009 et 4 août 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. B...A..., demeurant..., ; M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07LY01244, 07LY01717 de la cour administrative d'appel de Lyon du 28 mai 2009 en tant qu'il rejette l'appel qu'il a interjeté du jugement du 27 mars 2007 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en tant qu'il rejette les conclusions de sa demande tendant à la décharge des cotisations de contribution sociale généralisée et de prélèvement social auxquelles il a été assujetti à raison des dividendes qu'il a perçus de la société Bellerivedis au cours des années 2002 à 2004 ;

2°) de poser à la Cour de justice de l'Union européenne, à titre préjudiciel, la question de savoir si les dispositions des articles 1600-0 C et 1600-0 F bis du code général des impôts, en vertu desquelles les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du même code sont assujetties aux contributions visées à ces articles sans condition liée à leur affiliation à un régime général de sécurité sociale obligatoire en France, sont compatibles avec les dispositions du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 ;

Vu l'ordonnance n° 2001-377 du 2 mai 2001 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Auditeur,

- les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de M.A...,

- les conclusions de M. Edouard Geffray, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Monod, Colin, avocat de M. A... ;



Considérant que les pourvois n°s 330551 et 330654 sont dirigés contre le même arrêt ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.A..., associé et dirigeant de la société Bellerivedis, qui exploite un hypermarché dans l'Allier, a perçu au cours des années 2002, 2003 et 2004 des dividendes de cette société, qui ont été assujettis par l'administration fiscale à la contribution sociale généralisée (CSG), à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et au prélèvement social sur les revenus du patrimoine ; que, saisi par M. A...d'une demande tendant à la décharge de l'ensemble de ces impositions, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, par un jugement du 27 mars 2007, déchargé le contribuable des cotisations de CRDS auxquelles il a été assujetti à raison de ces dividendes et a rejeté le surplus de ses conclusions ; que, sous le n° 330551, le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 28 mai 2009 en tant qu'il rejette l'appel qu'il a formé contre ce jugement en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande du contribuable ; que, sous le n° 330654, M. A...se pourvoit en cassation contre le même arrêt en tant qu'il rejette l'appel qu'il a formé contre ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à la décharge des cotisations de CSG et de prélèvement social auxquelles il a été assujetti au titre des années 2002 à 2004 à raison de ces dividendes ;

Sur le pourvoi du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT :

Considérant qu'aux termes de l'article 1600-0 G du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " I. Les personnes physiques désignées à l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale sont assujetties à une contribution perçue à compter de 1996 et assise sur les revenus du patrimoine définis au I de l'article L. 136-6 du même code. (...) / Elle est établie, recouvrée et contrôlée dans les conditions et selon les modalités prévues au III de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, à l'exception du troisième alinéa (...). " ; qu'aux termes de l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 2 mai 2001 prise pour l'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 et modifiant les règles d'assujettissement des revenus d'activité et de remplacement à la contribution sociale généralisée et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale : " Il est institué une contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement à laquelle sont assujettis : / 1° Les personnes physiques qui sont à la fois considérées comme domiciliées en France pour l'établissement de l'impôt sur le revenu et à la charge, à quelque titre que ce soit, d'un régime obligatoire français d'assurance maladie (...). " ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'alors même que la CRDS assise sur les revenus du patrimoine constitue une imposition de toute nature et non une cotisation de sécurité sociale, dès lors que l'obligation faite par la loi de payer cette contribution reste sans effet sur les droits aux prestations d'assurance maladie des personnes qui s'en acquittent et ne constitue pas une condition d'ouverture des droits aux prestations d'un régime de sécurité sociale, seules peuvent être assujetties à cette contribution les personnes physiques qui remplissent les conditions mentionnées à l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable aux années en litige, c'est-à-dire celles qui sont à la fois considérées comme domiciliées en France pour l'établissement de l'impôt sur le revenu et à la charge d'un régime obligatoire français d'assurance maladie ; que, par suite, en jugeant que M. A...ne remplissait pas les conditions pour être assujetti à la CRDS sur les dividendes qu'il a perçus de la société Bellerivedis au cours des années 2002 à 2004, dès lors qu'il n'était affilié à aucun régime obligatoire français d'assurance maladie, la cour administrative d'appel de Lyon n'a entaché son arrêt d'aucune erreur de droit ni d'aucune erreur de qualification juridique des faits ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 28 mai 2009 en tant qu'il rejette l'appel qu'il a formé contre le jugement du 27 mars 2007 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de M. A...;

Sur le pourvoi de M.A... :

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le ministre chargé du budget a produit, le 24 avril 2009, un second mémoire en défense en réponse au mémoire en réplique du 24 février 2009 de M. A... ; que ce nouveau mémoire a été communiqué au requérant le 27 avril 2009, c'est-à-dire sept jours avant la clôture de l'instruction et dix jours avant la tenue de l'audience, prévue le 7 mai suivant ; qu'il ne contenait pas d'élément de fait ou de droit nouveau ; que, dès lors, la circonstance que la date de l'audience n'ait pas été reportée, comme M. A...l'avait demandé par un courrier du 27 avril 2009, régulièrement visé par la cour parmi les " autres pièces " du dossier, afin de lui permettre de bénéficier d'un délai plus long pour répondre à ce mémoire, n'est pas de nature à avoir entaché d'irrégularité la procédure suivie ;

Considérant, en deuxième lieu, que, lorsque, postérieurement à la clôture de l'instruction, le juge est saisi d'un mémoire émanant de l'une des parties à l'instance, et conformément au principe selon lequel, devant les juridictions administratives, le juge dirige l'instruction, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de ce mémoire avant de rendre sa décision, ainsi que de le viser sans l'analyser ; que s'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, d'en tenir compte - après l'avoir visé et, cette fois, analysé - il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si ce mémoire contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A...a présenté, postérieurement à la clôture de l'instruction, dans la journée du 4 mai 2009, un nouveau mémoire ; que ce mémoire ne contenait l'exposé d'aucune circonstance de fait nouvelle dont M. A...n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction écrite et que la cour ne pouvait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, ni d'aucune circonstance de droit nouvelle ou que la cour aurait dû relever d'office ; que, dès lors, les juges du fond, qui l'ont visé sans l'analyser, n'ont pas entaché leur arrêt d'irrégularité en ne tenant pas compte de ce mémoire ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A...n'a pas soulevé devant la cour de moyen distinct invoquant les dispositions de la circulaire n° 2001-350 du 17 juillet 2001 relative à la mise en oeuvre de l'ordonnance du 2 mai 2001 portant modification du critère d'assujettissement à la CSG et à la CRDS, mais s'est borné à faire allusion, de manière imprécise, à cette circulaire à l'appui de son moyen tiré de ce qu'il ne pouvait être assujetti à la CSG sur les dividendes litigieux ; qu'il n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que la cour, qui s'est prononcée sur le point de savoir si le critère d'affiliation à un régime obligatoire français d'assurance maladie devait être appliqué aux assujettis à la CSG sur les revenus du patrimoine, aurait insuffisamment motivé son arrêt en ne se prononçant pas sur cette circulaire ;

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

Considérant qu'aux termes de l'article 1600-0 C du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " I. Ainsi qu'il est dit à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu (...) : / (...) / c) Des revenus de capitaux mobiliers ; (...). / III. La contribution portant sur les revenus mentionnés aux I et II est assise, contrôlée et recouvrée selon les mêmes règles et sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que l'impôt sur le revenu (...). " ; qu'aux termes de l'article 1600-0 F bis du même code : " I. (...) les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B sont assujetties à un prélèvement sur les revenus et les sommes visées à l'article 1600-0-C (...). " ;

Considérant, en premier lieu, qu'en estimant que les dividendes versés par la société Bellerivedis à M. A..., qui était à la fois associé et dirigeant de celle-ci et n'en recevait pas de salaire, rémunéraient uniquement la propriété des droits sociaux qu'il détenait dans cette société et ne constituaient pas la rémunération de ses fonctions de dirigeant, et en jugeant que ces dividendes, dès lors qu'ils revêtaient le caractère de revenus distribués imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus des capitaux mobiliers, avaient le caractère de " revenus du patrimoine " soumis à la CSG en application de l'article 1600-0 C du code général des impôts, et non celui de revenus d'activité et de remplacement au sens de l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;

Considérant, en second lieu, qu'en jugeant que la CSG assise sur les revenus du patrimoine a, dès lors que l'obligation faite par la loi d'acquitter cette contribution est dépourvue de tout lien avec l'ouverture d'un droit à une prestation ou un avantage servis par un régime de sécurité sociale, le caractère d'une imposition de toute nature et non celui de cotisation de sécurité sociale au sens des dispositions constitutionnelles et législatives nationales et en écartant ainsi le moyen tiré par M. A...de ce que cette contribution ne peut, compte tenu de son caractère, être due en l'absence d'affiliation à un régime obligatoire français d'assurance maladie, la cour administrative d'appel de Lyon n'a pas commis d'erreur de droit, alors même que la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que cette contribution, en tant qu'elle frappe les salaires et a pour objet de financer des régimes de sécurité sociale, entre dans le champ d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté ;

Sur les conclusions tendant à ce que la Cour de justice de l'Union européenne soit saisie d'une question préjudicielle :

Considérant que M. A...doit être regardé comme demandant au Conseil d'Etat de poser à la Cour de justice de l'Union européenne, à titre préjudiciel, la question de savoir si les articles 1600-0 C et 1600-0 F bis du code général des impôts, qui disposent que toutes les personnes physiques fiscalement domiciliées en France sont assujetties à la CSG et au prélèvement social sur leurs revenus du patrimoine, sont compatibles avec les principes d'unicité de la législation sociale applicable et d'interdiction de double cotisation qui découlent du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté ;

Considérant, toutefois, que la question de la compatibilité des dispositions du code général des impôts définissant le champ des assujettis à la CSG et au prélèvement social sur les revenus du patrimoine avec les principes issus du règlement du Conseil du 14 juin 1971 est, en tout état de cause, sans incidence sur la solution du présent litige, dès lors qu'il n'est pas contesté que M.A..., qui avait son domicile fiscal en France, où il exerçait son activité de dirigeant de société, n'était affilié en 2002, 2003 et 2004 à aucun régime d'assurance maladie dans un autre Etat membre ; qu'ainsi, les conclusions de M. A...tendant à ce que la Cour de justice de l'Union européenne soit saisie d'une question préjudicielle ne peuvent qu'être rejetées ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 28 mai 2009 en tant qu'il rejette l'appel qu'il a formé contre le jugement du 27 mars 2007 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la décharge des cotisations de CSG et de prélèvement social auxquelles il a été assujetti au titre des années 2002 à 2004 à raison des dividendes perçus de la société Bellerivedis, et que ses conclusions tendant à ce que la Cour de justice de l'Union européenne soit saisie d'une question préjudicielle doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT et le pourvoi de M. A...sont rejetés.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. A...en défense au pourvoi n° 330551 tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT et à M. B... A....

ECLI:FR:CESSR:2011:330551.20110504
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