Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005

Version initiale


  • Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi de financement de la sécurité sociale, adoptée le 2 décembre 2004.
    Les recours mettent en cause la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale, au travers des critiques portées aux articles 14 et 42 de la loi. Ces griefs appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.


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    I. - Sur l'article 14


    A. - L'article 14 de la loi de financement de la sécurité sociale déférée arrête, pour 2005, les prévisions de recettes, par catégorie, de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement, conformément à ce que prescrit le 2° du I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.
    Les auteurs des recours soutiennent que la sincérité de ces prévisions de recettes serait affectée par la circonstance que le Parlement aurait été privé de certaines informations alors qu'elles auraient été disponibles au moment du vote de la loi déférée, en particulier en ce qui concerne l'absence de compensation par le budget de l'Etat des pertes de cotisations sociales résultant de la création de contrats aidés figurant dans le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale en cours de discussion devant le Parlement.
    B. - Une telle critique ne pourra être retenue par le Conseil constitutionnel.
    De manière générale, il faut rappeler que la conformité à la Constitution de la loi de financement de la sécurité sociale ne peut être mise en cause, au regard du principe de sincérité, que si les prévisions faites par le Gouvernement traduisent une mauvaise évaluation manifeste, certaine et volontaire, dénaturant l'exercice par le Parlement de ses prérogatives. Ce n'est que dans cette mesure que pourrait être contestée, au plan juridique, la constitutionnalité de la loi de financement. En outre, le Conseil constitutionnel exerce en la matière un contrôle d'erreur manifeste d'appréciation qui prend en considération les aléas inhérents à l'évaluation des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses.
    Au cas présent, on doit souligner que les prévisions de recettes, telles qu'elles sont fixées par l'article 14 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, ne peuvent être regardées comme entachées d'erreur manifeste d'appréciation. Le Gouvernement s'est fondé, pour les établir, sur des projections étayées par des travaux d'experts, qui sont cohérentes avec celles qui ont été retenues pour l'établissement du projet de loi de finances. Les saisissants ne contestent d'ailleurs pas les éléments sur lesquels s'est fondé le Gouvernement pour établir ces prévisions.
    Les recours se bornent, s'agissant de l'article 14, à soutenir que la sincérité de ces dispositions serait affectée par la circonstance que le Parlement n'aurait pas été correctement informé de ce que les exonérations de cotisations sociales prévues pour des contrats aidés, dont la création est envisagée dans le cadre de la discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, ne donneraient pas lieu à compensation par le budget de l'Etat.
    Une telle critique manque en fait.
    D'une part, il faut souligner que le Gouvernement a toujours considéré que les exonérations de cotisations sociales liées aux contrats d'accompagnement dans l'emploi et aux contrats d'avenir régis par les dispositions actuellement en discussion au Parlement ne feraient pas l'objet d'une compensation par le budget de l'Etat. Cette position a été retenue parce que les nouveaux dispositifs s'inscrivent dans la ligne de dispositifs antérieurs à 1994 qui n'avaient pas fait l'objet d'une telle compensation. Cette position du Gouvernement n'a pas varié depuis le dépôt du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale le 15 septembre 2004 : l'amendement adopté par l'Assemblée nationale au cours de la 2e séance du 1er décembre 2004 dans le cadre de la discussion de la loi de programmation pour la cohésion sociale ne traduit, de ce point de vue, qu'une simple clarification, ainsi que l'a exposé en séance le ministre délégué aux relations du travail. Les prévisions de recettes figurant à l'article 14 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 ont été établies sur la base d'une absence de compensation de ces exonérations par le budget de l'Etat. On ne peut, par suite, soutenir que les prévisions fixées par l'article 14 ne seraient pas sincères de ce fait. Au demeurant, on peut remarquer que le montant des exonérations en cause, estimé pour ces contrats aidés pour l'année 2005, est de l'ordre de 200 millions d'euros, alors que le montant total des prévisions de recettes fixées par l'article 14 dépasse les 350 milliards d'euros.
    D'autre part, le Gouvernement entend relever que cette absence de compensation par le budget de l'Etat a été indiquée au Parlement sans la moindre ambiguïté, dès que la question a été soulevée dans le cours de la discussion relative à la loi de financement de la sécurité sociale. Ainsi, le ministre de la santé et de la protection sociale a donné des explications en ce sens, en réponse à une question soulevée, devant la commission des affaires sociales du Sénat au cours de sa séance du 21 octobre 2004. On ne saurait, par suite, soutenir qu'auraient été sciemment dissimulés des éléments indispensables à la correcte information du Parlement, nécessaires pour qu'il se prononce en connaissance de cause sur la loi de financement de la sécurité sociale. La critique adressée à l'article 14 de la loi déférée sera donc écartée.


    II. - Sur l'article 42


    A. - L'article 42 de la loi déférée détermine, pour l'année 2005, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie de l'ensemble des régimes obligatoires de base, par application du 3° du I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.
    Les parlementaires requérants soutiennent que la fixation de cet objectif serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, susceptible de conduire à la mise en oeuvre de mécanismes correcteurs portant atteinte au droit à la protection de la santé garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
    B. - Ces griefs ne sont pas fondés.
    De façon liminaire, il faut rappeler que l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) ne constitue pas une enveloppe budgétaire limitative, mais un objectif d'évolution des dépenses de santé, défini en fonction de choix de santé publique, dont le dépassement justifie la mise en oeuvre de mécanismes de régulation des dépenses. Compte tenu des aléas qui marquent nécessairement un tel exercice de prévision, le Conseil constitutionnel n'exerce qu'un contrôle d'erreur manifeste d'appréciation sur la détermination de cet objectif.
    En l'espèce, l'ONDAM pour 2005 a été déterminé en tenant compte d'un rythme tendanciel annuel des dépenses d'assurance maladie de 5,5 %. Comme chaque année, a en outre été incluse dans l'objectif une provision destinée à prendre en compte des mesures de santé publique ou de revalorisations conventionnelles qui pourraient intervenir au cours de l'année 2005. Mais l'objectif intègre aussi un plan ambitieux d'économies de 3,5 milliards d'euros pour l'ensemble des régimes, dont 2,9 milliards d'euros pour le seul régime général, qui découle des mesures décidées dans le cadre de la réforme de l'assurance maladie. On peut noter en outre que l'on a observé, d'ores et déjà, un ralentissement de l'évolution des dépenses d'assurance maladie en fin d'année 2004 autour, voire en dessous, de 5 %, ce qui témoigne du caractère réaliste de la fixation de l'ONDAM pour 2005.
    On doit également souligner la portée des mesures adoptées, qui conduiront chaque acteur du système de santé à contribuer au plan d'économies. Les assurés sociaux devront acquitter la participation forfaitaire de 1 euro et le relèvement du forfait journalier hospitalier, ce qui devrait conduire à une économie de 700 millions d'euros. Les changements de comportement attendus et le renforcement des contrôles en matière d'arrêts de travail devraient se traduire par une économie de l'ordre de 300 millions d'euros en termes d'indemnités journalières. Les prix et la prise en charge des médicaments et dispositifs médicaux devraient mieux refléter les conditions de concurrence et le service médical rendu : les baisses de prix, le développement de l'utilisation des médicaments génériques, le réexamen des classes de médicaments dont le service médical est insuffisant devraient conduire à des économies de l'ordre de 700 millions d'euros. La modernisation de la gestion des hôpitaux, en particulier en matière d'achats et de pratiques de prescription, devrait se traduire dès 2005 par environ 200 millions d'euros d'économies. Enfin, les médecins devraient limiter leurs prescriptions à ce qui est médicalement justifié, ce qui devrait se traduire par un effort de maîtrise médicalisée de l'ordre de 1 milliard d'euros. Cet effort de maîtrise médicalisée est ambitieux. Il traduit l'ampleur des comportements qui doivent être améliorés, en particulier en termes de prescriptions de psychotropes, d'antibiotiques et de statines ; mais la tendance récente montre que sur certains postes la décélaration du rythme des dépenses est d'ores et déjà sensible.
    Pour permettre de parvenir à de telles économies, la réforme de l'assurance maladie a ajouté aux outils de maîtrise médicalisée progressivement développés au cours des dernières années des outils nouveaux qui visent directement les comportements et dont l'impact sera important. Il faut citer à ce titre la coordination du parcours de soins avec le médecin traitant, la sensibilisation aux coûts avec le forfait de 1 euro par acte, des actions de gestion du risque de façon coordonnée entre la médecine de ville et l'hôpital, la réforme des affections de longue durée, l'intervention de la Haute Autorité de santé et le développement des référentiels, la négociation conventionnelle, un dispositif de sanctions. La réforme des institutions de l'assurance maladie et de son réseau comme le renforcement de ses moyens d'action au niveau régional devraient également améliorer l'efficacité des actions menées.
    On doit ajouter que, par la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, le législateur a entendu renforcer l'exigence de mise en oeuvre de mécanismes de régulation en cas de dérapage des dépenses, en instaurant par son article 40 un comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie. Le seuil au-delà duquel le comité d'alerte doit signaler un risque sérieux de dépassement de l'ONDAM a été fixé à 0,75 % par le décret n° 2004-1077 du 12 octobre 2004. Un tel mécanisme vertueux ne saurait inciter à une sous-estimation manifeste de l'ONDAM, qui se traduirait immanquablement par un dépassement de l'objectif en cours d'année. Il conduit aussi, en cas de dépassement, à ce que le Gouvernement et les caisses d'assurance maladie prennent des mesures appropriées de correction. A cet égard, et contrairement à ce qu'affirment les auteurs des recours, les mesures possibles ne se limitent pas à l'accroissement par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie de la participation forfaitaire instaurée par la loi du 13 août 2004 : indépendamment de l'effet psychologique d'une telle alerte sur les comportements des producteurs et consommateurs de soins, dans le sens d'une moindre dépense, un large éventail de mesures autres qu'une réduction des remboursements est susceptible d'être mis en oeuvre, que ce soit l'amplification des contrôles a priori et a posteriori, la modération des prix et des tarifs, le report de certaines mesures coûteuses et, si les moyens de contenir la dépense à court terme s'avéraient insuffisants, l'accroissement des recettes. Les mesures qui seraient prises devraient, en tout état de cause, veiller, ainsi que l'a expressément indiqué le Conseil constitutionnel, à ce que ne soient pas remises en cause les exigences résultant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
    Dans ces conditions, il n'apparaît pas que la détermination par l'article 42 de la loi déférée de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie de l'ensemble des régimes obligatoires de base serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Le grief dirigé contre l'article 42 de la loi sera donc écarté.


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    Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés par les parlementaires requérants n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de la loi déférée. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.

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